11 février 2006

Politique et société: journalisme

Thomas Ferenczi est un journaliste du journal Le Monde, depuis 1971. Il est né à l’Alger, en 1944, a été médiateur du Monde de 1996 à 1998 et est correspondant à Bruxelles depuis janvier 2003. Normalement je trouve ces articles dans le Monde très intéressants et opportuns. Voici le premier de ces articles, sur lequel j’aimerais attirer l’attention.

Le passé revisité
(article paru dans l'édition du 03.02.06 du Monde)

"Au moment où l'Europe en crise s'interroge avec inquiétude sur son avenir, la voici qui se penche avec empressement sur son passé, comme s'il lui fallait pour repartir commencer par se donner une mémoire commune. Les trois grandes tragédies qui ont marqué son histoire font ainsi l'objet d'une relecture critique, tandis que ses dirigeants, qui se sont réunis à Salzbourg autour du souvenir de Mozart, tentent de faire revivre l'esprit européen.
De ces trois tragédies, l'une, celle du nazisme, a servi de point de départ, au lendemain de la seconde guerre mondiale, à la construction de l'Europe, fondée sur la volonté de paix et de réconciliation. En célébrant, le 27 janvier, la première Journée internationale de la mémoire de l'Holocauste, les Européens ont tenu à rappeler une fois de plus que l'apaisement ne signifie pas l'oubli.
La deuxième tragédie, celle du communisme, vient de provoquer la condamnation solennelle de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, une institution qui s'est fait une spécialité de la défense des droits de l'homme. « Les régimes communistes totalitaires, qui étaient en place en Europe centrale et orientale au siècle dernier et qui existent toujours dans plusieurs pays du monde, ont été marqués sans exception par des violation s massives des droits de l'homme », souligne l'Assemblée.
La troisième tragédie, celle du colonialisme, est depuis peu au centre des débats en France, mais elle concerne la plupart des Etats d'Europe, la Grande-Bretagne, bien sûr, qui fut à la tête d'un immense empire, l'Espagne, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas ou encore, à un degré moindre, l'Allemagne et l'Italie. Chacun de ces pays conserve des liens avec ses anciennes colonies. La grande question de l'immigration, devenue pour l'Union européenne un sujet majeur, est l'héritage direct de cette période de l'histoire. Elle suscite en Europe une tardive prise de conscience.
L'Autriche, celle de Mozart, mais aussi, comme l'a rappelé Dominique de Villepin à Salzbourg, celle de Musil, de Klimt et de Freud, évoque l'Europe d'avant la « crise de l'humanité européenne », pour reprendre l'expression d'Edmond Husserl dans sa fameuse conférence de 1935 citée par le premier ministre français. De cette crise pouvait naître, selon le philosophe allemand, soit la chute dans la barbarie, soit la renaissance. Il faut donc revenir à ce tournant de l'histoire pour remettre l'Europe sur le bon chemin.
Le travail de mémoire doit permettre de mieux définir le socle de valeurs sur lequel est bâti le projet européen et de vérifier que celles-ci continuent d'unir les peuples d'Europe. Encore faut-il se garder de deux tentations. La première serait de transformer la culture commune des Européens en un système de dogmes auxquels nul ne saurait déroger sans encourir les foudres de la loi. Le réexamen du passé doit s'opérer sur le mode de la discussion contradictoire et accepter que s'affrontent des mémoires concurrentes avant qu'une mémoire collective ne se forme.
La seconde tentation serait de confondre les valeurs qui fondent l'unité de l'Europe et les politiques que celle-ci est appelée à conduire. Les leçons de l'histoire, telles que les propose le regard des Européens sur leur passé, peuvent servir de guides à l'action. Comme vient de le souligner le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, « le souvenir est un garde-fou pour l'avenir ». Pour autant, il ne suffit pas à dessiner la voie à suivre.
En se remémorant les catastrophes dont elle a été responsable au siècle dernier, l'Europe se donne pour le futur quelques impératifs catégoriques, à commencer par le respect des droits de l'homme. Mais il lui reste à s'entendre sur la meilleure manière d'atteindre cette fin. C'est là que le débat politique reprend ses droits.”

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