28 octobre 2006

Politique: Brasil/Lula: le mal moindre ou la continuation de l'espoir?

Luiz Inácio Lula da Silva (Lula), se maintient en tête des sondages réalisés au Brésil, la veille du second tour des élections. Lula (du Parti des Travailleurs, PT) réuni 61% des intentions de vote, contre 39% pour le candidat du Parti de la Social-Démocratie Brésilienne (PSDB), Geraldo Alckmin. Après un premier tour décevant pour Lula, il semble plus que jamais proche d’assurer la victoire aux présidentielles, malgré des scandales de corruption et les coups de théâtre préélectoraux. Lula qui affirmait récemment lors d’un comice électoral "je connais vos problèmes, je sais ce qu’il est de chercher du boulot pendant un an et demi, j’ai déjà été comme vous, sans argent».

Il y a quatre ans, l’élection de Lula a représenté un espoir, non seulement pour les brésiliens mais pour toute l’Amérique latine et le monde. Mais, après quatre ans de pouvoir, qu’ont Lula est le PT fait pour les brésiliens, quels ont été les résultats de leurs promesses ? Méritent ils un deuxième mandat?

Coté économie, Lula a su calmer les marchés financiers du Brésil et le capital investisseur, qui craignaient l’arrivée de la gauche au pouvoir. L’ex-syndicaliste a gagné leur confiance (certains disent qu’il s’est allié au capital et au pouvoir économique…) et suivi la politique financière orthodoxe de son prédécesseur, Cardoso. Malgré tout la croissance économique est restée modeste, ne passant de 0,5% en 2003 qu'à seulement 2,3% en 2005, trop peu pour un géant économique comme le Brésil qui a besoin d’une grande croissance créatrice d’emploi pour les millions de chômeurs. Le chômage a quand même diminué entre 2003 et 2005, de 9,73% à 9,3% (mais cette période a aussi été une période de croissance mondiale). Lula a quand même crée plus d’emplois en trois ans et demi que Cardoso en huit (les cycles économiques l’ont bénéficié), mais beaucoup moins que les 10 millions qu’il avait promis.

Coté politique de cohésion sociale et de redistribution, les choses se sont améliorées, mais pas encore assez. Il faudra encore prouver si les améliorations introduites n’ont été que purement esthétiques et anesthésiques plutôt que structurelles et durables. Entre 2003 et 2005 la pauvreté s’est réduite de 26,7% à 22,7% (% de la population sous le seuil de pauvreté), encore environ un quart de la population. Et les inégalités sociales et économiques au Brésil restent toujours parmi les plus grandes de la planète – les 10% plus riches détiennent environ 45% des revenus, tandis que les 50% plus pauvres n’ont que 14% du revenu du pays. Selon les analystes, pour redistribuer effectivement il faudra des changements structurels que le gouvernement de Lula n’a pas osé faire, il faudra affronter les banques, les grands propriétaires de la terre et le capital. Les banques (comme partout d’ailleurs) ont vu leurs profit s’accroître, et les latifondiaires ne sont pas inquiets…

La réforme agraire, pourtant drapeau électoraliste de Lula, n’a pas vraiment avancé. Même si le gouvernement affirme avoir distribué des terres à quelques 206.000 familles, la plupart de ces terres se trouvent en Amazonie, sans infrastructures ni services publics, dans les pires régions du pays. Le problème a été contourné, donc. D’un autre coté il semble que le gouvernement a augmenté beaucoup le crédit à l’agriculture familiale, ce qui est positif. Quatre ans c'est aussi trop peu pour changer radicalement les politiques, sans bouleversements majeurs.

Mais alors, qu’a fait Lula pour plaire à ce quart de la population le plus pauvre, garantissant leurs votes ? Le gouvernement a créé un programme d’aide sociale financière directe aux familles les plus démunies, la bourse famille (bolsa família), une sorte de revenu minimum. Avec ce programme (le principal programme social du gouvernement) une aide moyenne de 61 reais (environ 22 Euros) est accordée par mois à quelques 11 millions de foyers qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Ceci permet à beaucoup de gens, surtout dans le pauvre et très peuplé Nordeste, avec de familles nombreuses, d’avoir au moins un repas par jour. Cette bourse ne coûte pas cher – seulement 0,5% du PIB brésilien – a le mérite d’aider les pauvres et surtout de garantir une partie substantielle des votes [heureusement que le vote au Brésil n’est pas encore proportionnel au revenu moyen des citoyens…]. Mais, le grand défi est de donner à cette partie de la population les moyens de s’en émanciper, de trouver ou créer un emploi. Et ça reste le grand défi du gouvernement Lula pour les quatre années à venir. Je n’oublie pas une scène vue à la télévision il y a quelques jours, je crois que dans la ville de S. Paulo : des foules de gens qui faisaient la queue et « luttaient » pour arriver les premiers et postuler pour quelques postes de caissière ou quelque chose d’équivalent… du jamais vu.

Ce que le Brésil a vraiment besoin est d’une politique de cohésion économique et sociale à l’image de celle qu’a l’Union Européenne. Cette politique a le mérite non seulement de redistribuer la richesse, en quelque sorte, les richesses des régions les plus riches vers les plus pauvres, mais de le faire en aidant à créer les conditions structurelles pour que ces régions se développent et créent des emplois elles mêmes. Il ne s’agit seulement pas de donner du poisson, mais d’aider à apprendre à pecher… Et coté régions, le Brésil a aussi d’énormes disparités, le sud étant nettement plus riche que le nord et le Nord-est (Nordeste). L’état de S. Paulo, par exemple, qui n’a que 21,5% de la population, représente à lui seul plus de 40% du PIB brésilien.

Coté égalité des chances, le gouvernement a aussi fait quelque chose, créant le Secrétariat Spécial de Politiques pour la Femme, un des premiers projets de Lula, responsable de l'augmentation du salaire et de la participation des femmes dans le marché de travail. Selon données de l'Institut Brésilien de Géographie et de Statistique, en 2001 il y aurait environ 35 millions de femmes économiquement actives, total qui est monté à environ 40 millions en 2004. Lula a aussi lancé la Central de Atendimento à Mulher (centrale d’aide à la femme), une ligne téléphonique gratuite qui aide les victimes de violence domestique pendant 24 heures (problème grave au Brésil). Et finalement la Loi Maria da Penha a été approuvée, qui détermine la prison de trois mois à trois ans pour agression à la femme et annule toute procurations au nom des conjoints.

Si coté corruption, les choses n’ont pas été brillantes, avec plusieurs scandales de détournement de fonds (souvent pour le financement du parti de Lula, le PT), plusieurs collaborateurs de Lula ayant été accusés et mis en prison, rien n’a jamais été trouvé contre Lula lui-même. Comme le mentionne des analystes, au moins aujourd’hui la corruption est investiguée ce qui n’était pas le cas avant, et puis tous les partis la pratiquent… L’exemple de la Suède est encore loin, où les ministres sont obligés de démissionner quand ils ont "oublié" de payer l’impôt de télévision…

Coté politique internationale, Lula a suivi un peu l’exemple de la politique économique, manoeuvrant sagement entre les différentes eaux et courants… assumant certes une indépendance et ton critique vis à vis de l’administration nord-américaine de Bush, participant activement au mouvement des non-alignés, mais restant assez low-profile et très pragmatique, au contraire d’autres leaders sud-américains comme Hugo Chavez ou son voisin Evo Morales. Tout récemment Lula a même tenu a affirmer son indépendance et voie unique, en quittant diplomatiquement l’appui à la candidature du Venezuela au Conseil de Sécurité des Nations Unies et en exigeant un traitement correct et faisant pratiquement un ultimatum au gouvernement Bolivien, au sujet de l’entreprise brésilienne Petrobras (investisseur dans le pétrole et gaz naturel), que Morales menaçait de nationaliser.

Lula gagnera très probablement les élections de dimanche, mais il aura une grande responsabilité et opportunité unique envers le peuple brésilien. On verra dans quatre ans, ce que Lula et son PT auront fait de ce capital d’espoir…

On espère que ce ne soit que des "cuentos chinos", comme le décrit Andrés Oppenheimer, dans son livre "Cuentos Chinos, el engaño de Washington, la mentira populista y la esperanza de América latina" (Editorial Sudamericana, Buenos Aires, 2005). Dans ce livre il se demande si les nouveaux régimes de gauche en Amérique latine réussissent vraiment à réduire la pauvreté et améliorer les conditions de vie de la population ou si, par contre, ces gouvernement s ne font que raconter des histoires de Chine… (mensonges…). Mais il reste plutôt positif.

Espérons que la phrase que cite Oppenheimer dans son livre ne se vérifie pas: "le Brésil est le pays du futur, et il le restera toujours".

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