23 octobre 2006

Poem: Boris Vian's "Je voudrais pas crever"

...et puis qu'on y est, je vous laisse une de mes poésies favorites, de Boris Vian:

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Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin

Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever

Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort...
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Boris Vian

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime bien Boris Vian, mais je connaissais pas ce poème-là, que je trouve quand même un peu trop sombre... Qu'est-ce que tu/vous pensez de "Walking around"?: (C'est mon auteur préféré, Neruda):

Il arrive que je me lasse d'être homme.
Il arrive que j'entre chez les tailleurs et dans les cinémas
fané, impénétrable, comme un cygne de feutre
naviguant sur une eau d'origine et de cendre.


L'odeur des coiffeurs me fait pleurer à cris.
Je ne veux qu'un repos de pierres ou de laine,
je veux seulement ne pas voir d'établissement ni de jardins,
ni de marchandises, ni de lunettes, ni d'ascenseurs.


Il arrive que je me lasse de mes pieds et de mes ongles,
de mes cheveux et de mon ombre.
Il arrive que je me lasse d'être homme.


Il serait cependant délicieux
d'effrayer un notaire avec un lys coupé
ou de donner la mort à une religieuse d'un coup d'oreille.
Il serait beau
d'aller par les rues avec un couteau vert
et en criant jusqu'à mourir de froid.


Je ne veux pas continuer à être une racine dans les ténèbres,
vaccillant, étendu, grelottant de rêve,
en dessous, dans les pisés mouillés de la terre,
absorbant et pensant, mangeant chaque jour.


Je ne veux pas pour moi tant de malheur.
Je ne veux pas continuer avec la racine et la tombe,
avec le souterrain solitaire, avec la cave aux morts
transis, me mourant de chagrin.


Voilà pourquoi le lundi flambe comme le pétrole
lorsqu'il me voit arriver avec ma face de prison,
il aboie dans son parcours comme une roue blessée,
et marche à pas de sang chaud vers la nuit.


Et il me pousse vers certains coins, vers certaines maisons humides,
vers des hôpitaux où les os sortent par la fenêtre,
vers certaines cordonneries à l'odeur de vinaigre,
vers certaines rues effroyables comme des crevasses.


Il y a des oiseaux couleur de soufre et d'horribles intestins
pendant aux portes des maisons que je hais,
il y a des dentiers oubliés dans une cafetière,
il y a des miroirs
qui devraient avoir pleuré de honte et d'épouvante,
il y a de tous côtés des parapluies, et des poisons et des nombrils.


Je me promène paisiblement, avec des yeux, avec des chaussures,
avec fureur, avec oubli,
je passe, je traverse des bureaux et des magasins d'orthopédie
et des cours où il y a des vêtements pendus à un fil de fer:
caleçons, serviettes et chemises qui pleurent
de longues larmes sales.

contestatario a dit…

je ne suis pas d'accord. Je trouve "Je voudrais pas crever" très positif... ça démontre bien une envie de vivre... de tout voir, faire, connaitre... même la mort :-)

Anonyme a dit…

Ta vision est quand même intéressante, mais comment expliques tu "Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène"?

il y quand même le peur de ne pas avoir le temps a voir "toutes ces choses"... non?